
L’île de Hashima, surnommée Gunkanjima (« île-cuirassé »), est située au large de Nagasaki. Sa silhouette rappelant un navire de guerre en a fait l’un des symboles les plus marquants de l’histoire industrielle du Japon. À l’origine simple récif, l’île fut totalement remodelée après la découverte du charbon à la fin du XIXᵉ siècle. Entre 1897 et 1931, six grands travaux de remblaiement et de digues portèrent sa superficie à 6,3 hectares, formant l’îlot artificiel allongé et fortifié que l’on connaît aujourd’hui. La crête rocheuse centrale séparait l’espace : le nord-ouest et le sommet accueillaient habitations et infrastructures de vie quotidienne, tandis que le sud-est était réservé aux puits, aux installations de tri et aux systèmes de transport du charbon.
La prospérité minière engendra une densité de population exceptionnelle. En 1916, l’immeuble n°30, premier complexe résidentiel en béton armé du Japon, fut achevé, marquant un jalon de l’architecture moderne. S’y ajoutèrent bientôt les immeubles n°16 à 20, puis l’immeuble n°65, un vaste ensemble de sept étages construit à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Afin de loger le plus grand nombre possible dans un espace restreint, l’île abritait également commerces, crèche, poste de police, bureau de poste et lieux de loisirs, devenant une véritable « micro-ville flottant sur la mer ». Dans les années 1960, plus de 5 000 habitants y vivaient, avec une densité neuf fois supérieure à celle du centre de Tokyo, ce qui valut à Hashima le surnom de « ruche sur la mer ». Mais les conditions de vie variaient selon le statut social : les cadres bénéficiaient de résidences en bois avec salle de bain privée, tandis que les familles de mineurs devaient se contenter de cuisines collectives et d’escaliers étroits, sans ascenseur.
Le milieu naturel constituait à la fois un défi et une source d’inspiration. Faute de terre cultivable, les habitants transportaient du sable sur les toits pour aménager de petits jardins, y plantant cactus, plantes grasses et fleurs. Les écoles encouragèrent même un « mouvement de plantation de fleurs » afin d’égayer l’univers de béton. Mais les tempêtes et typhons frappaient durement l’île : les vagues atteignaient parfois les étages supérieurs, fragilisant peu à peu les structures.
En 1974, l’exploitation du charbon cessa, l’île fut évacuée, et les bâtiments laissés sans entretien se dégradèrent rapidement sous l’effet du vent marin et du sel. Aujourd’hui, façades effritées, armatures apparentes et balcons écroulés font de Hashima un précieux laboratoire pour l’étude du vieillissement précoce du béton armé.
L’histoire de l’île est indissociable de la révolution industrielle japonaise, mais aussi d’une controverse internationale. En 2015, Hashima fut inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO au sein des « Sites de la révolution industrielle Meiji ». Toutefois, la présence de travailleurs coréens forcés pendant la Seconde Guerre mondiale suscita l’opposition de la Corée du Sud et un vif débat. Le Japon promit finalement de fournir un récit historique plus complet afin d’obtenir l’inscription.
Aujourd’hui, Gunkanjima est célèbre pour son esthétique des ruines : aciers rouillés, murs écaillés et tours fantomatiques composent un paysage saisissant. Depuis 2009, des visites guidées permettent d’emprunter des parcours sécurisés pour découvrir cette « cité fantôme sur la mer ». Debout sur l’île, on devine encore l’animation passée des ruelles, les cris des écoliers, l’angoisse des mineurs descendant au fond, et le soir venu, la cohabitation des fumées de cuisine et des néons urbains.
Gunkanjima a inspiré de nombreuses œuvres culturelles. Dès 1949, le film No Green Island s’y déroulait ; plus récemment, l’île a servi de modèle au repaire du méchant dans Skyfall (2012, saga James Bond), et a été lieu de tournage du film en prises de vue réelles L’Attaque des Titans. Des clips musicaux comme MY LONELY TOWN de B’z ou ceux de KAT-TUN y ont également été réalisés. Le film coréen The Battleship Island a quant à lui dramatisé l’histoire du travail forcé.